Khristapor Kara-Mourza (1853-1902)

Le propagandiste de la musique Arménienne

Un concert historique

Vendredi 15 mars 1885, Théâtre Artsrouni de Tiflis. L’affiche de la soirée annonce un évènement : Le premier concert d’un chœur à 4 voix. Le programme présente des œuvres d’auteurs arméniens. En ouverture  « Le chant de l’Italienne » d’un certain Goms Emmanuel…

Sur scène,  un chœur masculin de 15 personnes, habillés en costume traditionnel arménien, dirigé par un inconnu : Kara-Mourza,  jeune musicien  arrivé à Tiflis trois ans auparavant….

 Le succès de ce concert sera tel que les biographes parleront d’un véritable choc pour le public, transformant cette journée en fête nationale !

 

Kara-Mourza (Khatchadour Markari ou Markarian) nait à Karasoubazar (Crimée) le 2 mars 1853 (encyclopédie arménienne) ou le 15 janvier 1854 (biographie de Roupen Terlemezian  , Vienne 1925). Ses parents, catholiques, ne sont pas bien aisés, mais la maison est ouverte aux artistes et acteurs. Dans la ville, se trouve une école tenue par les Pères Mekhitaristes et durant cette période un grand mouvement culturel se développe, sous l’impulsion de l’évêque Vartanès Bédourian avec le soutien de la famille Nalbandian.

Kara-Mourza dès l’âge de 8 ans reçoit les conseils du musicien Garabed Khanpéguian qui participe à son éducation musicale et lui enseigne le piano. Malgré une formation musicale limitée, l’adolescent s’obstine à devenir musicien.

Musicien-missionnaire

Kara-Mourza  donne très tôt des leçons de musique pour survivre et rencontre de nombreuses difficultés à imposer ses idées musicales : la diffusion de la musique arménienne populaire et sacrée à travers des arrangements polyphoniques (à plusieurs voix), et la  création de chœurs, partout où vivent des arméniens. Il décide de s’installer à Tiflis, capitale culturelle du Caucase. Beaucoup de personnes lui déconseillent de poursuivre ses idées. Les religieux considèrent de leur coté qu’arranger la musique religieuse monodique pour chœur est un sacrilège.

A Tiflis, il est en contact avec Krikor Arzrouni, Raffi, Bedros Atamian qui l’encouragent dans ses idées. Il fait des annonces par la presse pour son projet de constitution d’un chœur, sans grand succès….il aurait renoncé sans l’appui de ses amis.

Le succès de son concert de 1885 ne doit pas faire oublier qu’il lui aura fallu 3 ans pour réunir 15 choristes!

Missionnaire de la musique arménienne, Kara-Mourza commence à réaliser son projet musical et réussit, partout où il se rend, à constituer, très rapidement des chœurs. Il éveille chez les jeunes le goût de la musique arménienne et commence à former des disciples qui à leur tour vont diriger de nouveaux groupes. Pour composer ses chants, il utilise les textes des grands poètes arméniens, ce qui contribue à leur diffusion.

En 1887, le jeune homme se rend à Constantinople pour étudier la tradition de musique religieuse du Patriarcat. Durant son séjour il rencontre Khrimian Hayrig, qui l’encourage dans sa mission. Kamar-Katiba lui prodigue ses conseils « Tant que vous êtes jeune, travaillez à écrire des musique fougueuses, réservez les lamentations pour vos vieux jours. Lerets ambèr ou Mayr Araksi sont des chants larmoyants. L’air du chant Pavè yérpayr viz dzerèk est beau », Alichan lui dit : « Si les œuvres artistiques manquent de fougue, elles perdent leur vivacité.»

De retour à Bakou, Kara-Mourza fait chanter son arrangement de la Messe en version chorale, aussitôt interdite par l’Archevêque Mesrop !

Au même moment, il reçoit une invitation à se rendre à Nor-Nakhitchevan mais refuse, car il a décidé d’écrire un opéra « Chouchane »

Le rêve brisé

En 1892, c’est la consécration, Kara-Mourza reçoit une invitation du directeur du collège Kévorkian, l’évêque Aristakès Kévorkian à se rendre à Etchmiadzine

A peine arrivé, Kara-Mourza se met à donner des leçons et entreprend de former une chorale assez importante. Son but à Etchmiadzine ?

  1. a) former des professeurs de solfège
  2. b) préparer des chefs de chœur pour faire chanter la messe en quatuor et d’autres chants.
  3. c) s’occuper des élèves doués et les aider à se parfaire.
  4. d) former à l’intérieur du Djémaran deux groupes instrumentaux supérieurs et secondaires.

Faire imprimer des cahiers de solfège en notation arménienne.

Ainsi, grâce à Kara-Mourza, St Etchmiadzine commença à se familiariser avec le chant à quatre voix. La joie mystique que ressentirent les fidèles la première fois que la messe fut chantée, se communiqua facilement et bientôt beaucoup de pèlerins vinrent l’écouter…

Khrimian Hayrig, récemment nommé Catholicos, arrivé à Etchmiadzine, recevra chaleureusement Kara Mourza et le remerciera d’avoir fait chanter la messe à quatre voix. Malgré cela, le musicien ne pourra continuer sa mission.

Hovannès Saratélian, adjoint du directeur  affirme qu’un jour, le Catholicos Khrimian Hayrig lui ayant demandé quel chant on avait introduit au Djémaran, l’évêque qui se tenait à ses côtés répondit d’un air moqueur que c’était « une musique telle que les élèves du Djémaran après avoir terminé leurs études, retournant chez eux, vendraient leurs outils agricoles pour acheter des instruments » . A ces mots, le Catholicos mit fin immédiatement à la fonction de Kara-Mourza….

«  Adieu à mon projet, au but que je me proposais… Où va-t-il se réaliser ? Cela est incertain. En ce moment, semblable à un bateau brisé, je flotte à travers de violentes vagues. Quel rivage vais-je aborder ? » «  A peine commencions nous le chant à quatre voix au Djemaran qu’au début de la deuxième année, on m’en éloigne et on remet à l’honneur le chant à une seule voix… ».

Le musicien reprend sa vie errante, de ville en ville, de village en village, comme toujours, confronté à des difficultés financières, malgré cela, il poursuit sa tâche avec une volonté farouche !

A Chouchi en 1894 et Bakou 1895, il présente le drame « Archak II » de K.Kalfayan avec chœur et orchestre.

En 1898, le compositeur se rend à Moscou pour faire connaître la musique arménienne, publier ses œuvres et présenter son opéra dont le thème est la lutte des arméniens pour la liberté.. Pendant les répétitions avec le chœur du collège Lazarian, il est arrêté et exilé à Pétrovsk pour avoir participé à des réunions avec des étudiants révolutionnaires.

En 1901, Kara Mourza se fixe à Tiflis, enseigne et collabore à des périodiques arméniens.

Le 27 mars 1902, il meurt, emporté par une maladie subite, après une vie de lutte et de souffrances.

Un héritage considérable

Depuis son premier concert de 1885, Kara-Mourza a crée 90 chorales dans 47 villes, donné 248 concerts, réunissant plus de 6000 personnes. Il a écrit ou harmonisé 320 chants et ouvert la voie à ses successeurs. Sa grandeur vient de ce qu’il a propagé le chant populaire, donné de l’élan à la musique religieuse, propagé la musique à plusieurs voix, et imposé la mixité des chœurs.

Kara-Mourza connut une très grande popularité au moment où la littérature entrait dans une période nouvelle avec un essor remarquable. A l’époque de Raffi, Kamar Katiba, les messagers de la révolution arménienne, il a joué un rôle de propagandiste de et par la musique arménienne et ouvert la voie à ses successeurs, Komitas et Krikor Sunni. Une partie seulement de son œuvre a été conservée.

Laissons au grand musicologue Robert Atayan la conclusion sur son héritage culturel : «  Kara-Mourza  a laissé un héritage considérable. Il a intégré la pluralité des voix dans la musique arménienne. Ses œuvres pour chorale à capella ont joué un rôle important dans l’élaboration de la langue musicale populaire et ont contribué à la fondation de l’école des compositeurs arméniens. ».

Alexandre Siranossian,

Iconographie : voir sur le crda « portrait »

Pièce jointe : carte postale de Kara –Mourza avec son chœur

Programme de 1885

6396 caractères !!!

 

Elèves connus de Kara-Mourza : Archag Adamian, Andon Mahilian (1880-1942),

Azad Manoukian (1878-1958) Armen Tigranian (1869-1950)

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