Le chant polyphonique dans la musique arménienne (1885)

Alors que l’on vient de commémorer en 2009 le 140° anniversaire de la naissance de notre grand musicien, le R.P. Komitas (1869-1935), cette année 2010 sera marquée par le 125° anniversaire de l’introduction du chant polyphonique dans la musique arménienne. C’est en effet le 15 mars 1885 au Théâtre Artsrouni de Tiflis, qu’a été présenté le premier concert de chant choral arménien « à quatre voix ».  

            Il devança de peu un jeune étudiant du conservatoire de Saint Petersburg, Magar Ekmalian, qui s’était fixé comme objectif d’harmoniser la messe arménienne pour chœur !

            On a du mal à imaginer que jusque là, la pratique musicale de notre peuple se limitait à chanter à l’unisson ou tout au mieux avec un accompagnement de « basse continue ».

De l’oral à l’écrit….

Après la découverte et l’intégration par les arméniens, au début du XIX° siècle, du  système musical occidental, sa diffusion fût favorisée par  la mise en place dès 1880, dans l’Empire Ottoman, (un an plus tard au Caucase) d’un réseau scolaire dans la Nation arménienne. Dans la société arménienne de la fin du XIX°, l’église et l’école, étaient les seules institutions en mesure de donner à la pratique chorale une fonction sociale. Elles ont ainsi contribué à l’intégration des premières générations de musiciens dans la société. Etudiants dans les conservatoires de Saint Petersburg, Moscou, Berlin et Tiflis,  ils vont trouver dans ces institutions un terrain idéal pour la pratique musicale, la diffusion d’un répertoire nouveau et la rencontre du public. Citons pour illustrer ce propos le Collège Nercessian,  qui sera au centre de  l’activité musicale de Tiflis, grâce au talent de Magar Ekmalian et Spiridon Mélikian.

            Peu avant l’arrivée de cette génération formée à la musique classique, c’est pourtant un musicien quasi autodidacte K Kara-Mourza qui permit à la musique arménienne de rentrer dans une tradition  déjà millénaire en Occident !

             La préparation du programme de 1885 composé de chants populaires et nationaux sur des textes d’auteurs contemporains lui demanda plusieurs années de travail et il eut  beaucoup de difficultés à constituer un chœur de 15 garçons !

            K Kara-Mourza se consacra à son art durant les 17 années de sa carrière musicale, dans un espace géographique très étendu et des conditions financières souvent très dures. Il organisa  plus de 90 chœurs dans 50 villes et villages donnant plusieurs centaines de concerts « Des vingt années de travail, les dix dernières  n’ont pas été perdues, le chant à quatre voix à triomphé…partout il s’impose sur le chant monophonique, c’est une raison de se réjouir…. »

Les fondateurs…

Kara-Mourza réalisa également une version à quatre voix de la liturgie arménienne mais aussitôt après sa création à Bakou,  elle fut interdite par l’Eglise arménienne. (A cette époque, les tenants de la tradition religieuse considéraient que la prière à Dieu devait être  chantée à une voix et d’une seule voix).  Magar Ekmalian réussit le premier à imposer sa messe à trois et quatre voix en la soumettant à l’avis d’une commission du Conservatoire Impérial de Saint Petersburg présidée par son professeur, le célèbre N. Rimsky Korsakoff. Elle certifia que l’œuvre était apte à être chantée durant la liturgie !

Une tradition née en Diaspora…

Les premiers fondateurs de la tradition chorale K. Kara-Mourza (1853-1902), M. Ekmalian (1856-1905) et Komitas (1869-1935) auront de nombreux élèves, chefs de chœurs, pédagogues, compositeurs et arrangeurs, qui enrichirent le  répertoire.

Sa diffusion fut facilitée par l’installation de certains d’entre eux en Diaspora : P. Ganatchian (1885-1967)  en Egypte puis au Liban, W. Sarxian (1892-1978),  en Belgique et en France, K. Suni (1876-1939), P. Toumadjian (1890-1973) et V. Servantiantz (1891-1958)  aux U.S.A.

En France le chœur Sipan-Komitas de Paris, constitué peu après la première guerre mondiale existe toujours. Il a eu comme chef : S. Hagopian, N. Serkoyan, Ara Bartévian, K. Alemscha et Garbis Aprikian.

Cette année 2010 est également le 100° anniversaire du grand chœur Goussan de 300 personnes créé par Komitas à Constantinople. A la date symbolique du 11 novembre 1918,  un autre ensemble de la ville, le chœur de l’église Sainte Croix choisit le premier de prendre le nom de  Komitas. Depuis, de nombreux autres chœurs Komitas se sont formés à travers  le monde: Paris, Lyon, Decines, Bucarest, Londres, Montréal, Sofia, Téhéran, Alep, Le Caire, Bagdad, New York, Boston, Los Angeles, Buenos Aires et Antélias. La liste est probablement incomplète…..

De Tiflis à Erevan…

En Arménie Soviétique, le nouveau régime politique organise un  développement des institutions conforme à l’idéal communiste, pourtant dans les premières années, l’église arménienne reste tolérée : «  Mon frère et moi, nous chantions tous les dimanches avec d’autres étudiants des Studios d’art dramatique dans le chœur de l’église arménienne (de Moscou) et l’on nous donnait dix roubles à chaque séance » (Aram Katchatourian 1924-1925)

                   Dans ce contexte économique et politique délicat, le peuple d’Arménie va montrer sa capacité à construire un avenir meilleur . La culture sera un élément majeur de cette renaissance.

            Pour  la tradition chorale, on relève le rôle important des élèves et successeurs de M. Ekmalian à l’école Nercessian :

            Azad Manoukian (1878-1958), élève de Kara-Mourza, installé en Arménie en 1934, a créé de nombreux chœurs. Spiridon Mélikian (1880-1933), professeur de 1909 à 1921, participa avec les 60 garçons du chœur de l’école à la vie culturelle de Tiflis avant de s’installer en Arménie en 1924, ou il enseigna et dirigea des chœurs. Garo Zakarian (1895-1964)  professeur à l’école Nercessian dès 1910, chef du chœur de l’église arménienne de Kamo à Tiflis en 1919 s’installe en Arménie en 1922, dirige le chœur du Conservatoire et crée le chœur de la radio en 1937. Kourken Mirzayan (1891-1876), élève de K Suni et S. Mélikian, chef de chœur et professeur à l’école Nercessian dès 1910, dirige le chœur de l’église arménienne de Kamo à Tiflis en 1919 puis s’installe en Arménie en 1922.  Il a dirigé le chœur du Conservatoire, et crée le chœur de la radio en 1937.

            Une mention particulière pour Armen Tigranian (1869-1950) auteur de l’Opéra Anouch (1912) membre du chœur de Kara-Mourza et élève de M. Ekmalian.

            Parmi les nombreux autres musiciens ayant  participé à l’élaboration du chant choral dans le Caucase, nous ne citerons que ceux qui parfois tardivement choisirent de s’installer en Arménie:

             Stephan Temourian (1872-1934), de 1918 à 1924 dirigea le chœur de l’église arménienne de Piatigorsk, et s’installa en Arménie  en 1926.

            Daniel Gazarian (1883-1858), originaire de Chouchi, il crée en 1908 à Tiflis avec R. Mélikian la « Ligue Musicale » dont le but était de publier des manuels scolaires de musique. Il part ensuite à Marzvan pour y enseigner la musique et crée un chœur. Il s’installe en Arménie en 1933 et poursuivra son œuvre musicale.

             Romanos Melikian (1883-1935) à l’exemple de Kara-Mourza a créé de nombreux chœurs et prit une part importante dans l’élaboration de politique musicale d’Arménie.

            Yervant Sartarian (1884-1977), originaire de Gandza, dirigea à Moscou le Département de musique populaire de la radio. Il s’installa en Arménie en 1948 et poursuivi ses activités de chef de chœur et compositeur.

            Aram Der-Hovanessian (1886-1970) responsable du chœur de la maison arménienne de Tiflis fut nommé chef du chœur national d’Arménie en 1930.

            Anouchavan Der Khévontian (1887-1961) très actif, a comme Romanos Mélikian  joué un rôle très important dans le développement musical du pays.   

            Vardkès Dalian (1896-1947), originaire de Gumri, a commencé à diriger des chœurs à Tiflis, il s’installe en Arménie en 1934.

             Vahan Oumr-Chad (1896-1959), originaire de Bayazid, enseigna et dirigea des chœurs à Akhalkalak. Il s’installe en Arménie en 1952 et enseigne au Conservatoire Romanos Mélikian.

             Mardin Mazmanian (1899-) fonde en 1928 un chœur à Tiflis. Il s’installe en Arménie en 1931. Y. Tcharentz lui confia la responsabilité des éditions musicales.

            Tatoul Altounian (1901-1973), originaire d’Adana.  Sa famille est arrivée en Arménie en 1915. L’ensemble populaire de Chants et Danses qui porte son nom est devenu une vraie légende. La famille  Altounian a donné à l’Arménie de nombreux chefs de chœurs et compositeurs…

            Hovaness Tchékidjian (1929) originaire d’Istanbul, installé en Arménie depuis 1961 Directeur du Chœur de Chambre Académique d’Etat avec lequel il a acquis une notoriété internationale.

            Tous les musiciens cités dans cet article ont composé et arrangé de nombreux chants pour chœur. Ce répertoire pour chœur inspiré de la musique traditionnelle et les créations contemporaines d’une multitude de compositeurs ont donné à l’Arménie une notoriété musicale internationale.

            La musique religieuse qui avait amorcé son renouveau au début du XX° siècle sera la grande absente de cette renaissance. Elle fera un retour discret dans les années 60 sous l’appellation de Musique du Moyen âge ou Musique ancienne, grâce notamment aux travaux du compositeur et musicologue Robert Atayan et par la voix sublime de la cantatrice Lucine Zakarian.

            Ainsi, cette tradition polyphonique que Kara-Mourza eut tant de mal à introduire dans la musique arménienne est devenu un élément fondamental (pour ne parler que du chœur) de la vie musicale et du patrimoine culturel du pays. Il existe à Erevan de nombreux chœurs amateurs dont le niveau musical est très élevé. C’est pourquoi compte tenu de l’émigration actuelle, on trouve de nombreux arméniens dans les chœurs professionnels européens.

Alexandre Siranossian 09/04/2010

Sélection des principaux arrangements et compositions des fondateurs de la tradition chorale :

Musique sacrée : Kara-Mourza, Ekmalian et Komitas, écriront chacun une version polyphonique de la liturgie arménienne. La messe de Kara-Mourza ne nous est pas parvenue et celle de Komitas sera terminée par son élève Wartan Sarxian.

Musique populaire et patriotique :

Kara-Mourza:

Concert de 1885 : L’Italienne (M. Nalbantian), Lerèts ambèr égan (Kamar Katiba), Pamporodan (G.Alichan), Ari èm sokhag (Kamar-Katiba), Guiliguia.

Autres : Dzidzernag (K. Tortokhian), Yèrpayr enk mènk (M. Bechiktachlian) Zintch ou zintch, Aperpan, Hoy nazan im, Vart gochigues, Les larmes de l’Araxe, Lebo lélé.

Ekmalian:

Hov arek sarèr djan, Lousnag anouch, Tchèm guerna khaghal, Kélé kélé, Guiliguia (texte de N. Roussinian) Hov Hayots achkharTsaïn entchèts Erzeroumèn, Dèr guétso tou esays (texte M. Taratian), Belbouln Avaraïri (texte G.Alichan)

R.P.Komitas :

Im tchinari yare, Karoun a, Koutani yèrk, Antsrèv égav, Lousnag anouch, Chorèr djan, Goujn ara, Sona yar, Gakavi yèrk, Hoy Nazan im, Akh Maral djan, Alakiaz, Khengui dzar, Keler tsoler, Lorou koutani yèrk, Gali yèrk,  Sipani katchèr, Karoun, Mayr Araxie apérov, Dèr guetso tou esays….

(Visited 39 times, 1 visits today)

Leave A Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *