Levon Astvazadourian (1922-2002)

Pour ce dernier numéro d’Achkhar, nous avons choisi de vous faire découvrir un « Yerpar», qui ne demanda jamais à revenir en France et joua un rôle considérable pour l’édition musicale des œuvres des compositeurs arméniens durant plus de quarante années. Qui parmi la communauté arménienne de France a connu le compositeur Levon Astvazadourian ?  Un de ces hommes remarquables et  idéalistes  qui répondirent présent à l’appel au Nerkart en 1947. Un homme aujourd’hui inconnu dont le nom apparait en permanence dans toutes les partitions éditées entre 1950 et 1990 et grâce à qui les premières partitions des compositeurs du mouvement avant-gardiste d’Arménie des années 80 furent éditées.  

Né à Constantinople en 1922, dans une famille cultivée. Son père, Aram, qui avait chanté dans le chœur Goussan de Komitas réalisa de mémoire, en 1969, une maquette très précise du salon du Vartabed et  de celui du poète Siamento avec décor et  mobilier.

La famille émigre en France en 1924 et s’installe à Nice. Levon, dès l’âge de douze ans, commence ses études musicales. Parallèlement à la musique, il commence des études de médecine, interrompues trois ans plus tard en raison de son départ en Arménie.

 Dès 1947, son père Aram travaille à l’observatoire de Purakan. Son fils admit comme membre de l’Union des Compositeurs et Musicologues d’Arménie sera engagé en 1950 aux Editions Nationales comme rédacteur pour la publication de  partitions et  livres à caractère  musical. Durant quarante ans, il occupera cette fonction dans un esprit de service public exemplaire. Grâce à lui, un patrimoine considérable sera publié et diffusé dans le pays mais également en Diaspora. Si nous avons aujourd’hui la possibilité de connaître et jouer les œuvres des compositeurs arméniens, c’est essentiellement grâce à cet homme qui garda toute sa vie une discrétion et une dignité rare. Les compositeurs d’Arménie avaient alors deux possibilités pour éditer leur musique : les éditions Soviétiques à Moscou et Leningrad ou l’Arménie. Si l’on en juge par la quantité et la diversité des partitions disponibles Levon Astvazadourian n’a pas chômé.

Homme intègre, Levon Astvazadourian a vécu dans ce pays d’accueil avec ses différences et elles étaient nombreuses : élevé comme un  Bolsétsi, nourri de culture française, doté d’un physique un peu particulier mais d’une intelligence supérieure, son mode de vie ascétique ne le poussait pas à participer au mode de vie caucasien,   plus festif que contemplatif. Il se maria et eut deux enfants, Alina et Zorhab qui vivent toujours à Erevan. Volontairement resté à l’écart d’un monde qui ne correspondait pas à sa personnalité, Levon Astvazadourian a composé de nombreuses partitions dont quelques unes ont retenu l’attention des plus grands noms de la musique soviétique. Un accueil qui mérite qu’on s’y attarde.

L’hommage à Komitas

La symphonie pour grand orchestre et orgue de 1970 (dédiée à Komitas) et Mélogonies, concerto pour trompette avec des plaquages « rumore urbano » et orchestre symphonique de 1983  ont été dirigées par David Khandjian en Arménie, et deux chefs mondialement célèbres, Guénnadi Rojdestvenski et Valéry Guéorguiev. Ce dernier est actuellement le plus grand chef russe !

Dans le symphonisme de l’Arménie soviétique, la symphonie de Levon Astvazadourian est une œuvre intéressante… C’est le parallélisme de l’Antique et du Contemporain qui est la très intéressante et  irrépétable atmosphère de l’œuvre…. Qui est une des œuvres les plus importantes de la musique soviétique (K. Meyer 1980)

La symphonie de Levon Astvazadourian est une œuvre brillante et talentueuse, créé avec un matériel toujours jeune et vivant de la musique populaire de l’Arménie (le thème principal est Mokats Mirza de Komitas) ….Nous sommes heureux de constater que la culture musicale soviétique s’est enrichie d’une œuvre importante (Guénnadi Rojdestvenski 1975).

Créer pour survivre

J’ai connu L. Astvazadourian en 1976 lors d’un premier voyage en Arménie. Chaque fois que je me rendais au pays, nous nous retrouvions, chez lui dans son appartement de la Maison des Compositeurs à Erevan. Il me jouait ses nouvelles œuvres, nous en discutions, et j’ai ainsi pu me rendre compte combien cet homme se situait à contre-courant des tendances musicales du pays. Isolé, ignoré, mais respecté, il s’était tout naturellement mis de lui même à l’écart tant son mode de pensée était éloigné de ses contemporains. Après sa retraite, il se consacra totalement à la création musicale. Autour de lui, le monde soviétique s’écroule, le rouble se dévalue, sa retraite ne lui permet plus de vivre, il ne  trouve même plus de papier à musique et pourtant il compose. Je l’interrogeais parfois : pourquoi écris-tu des choses si difficiles à jouer ? Alex, je sais que je ne serai pas joué, alors j’écris ce que je veux !

Ce n’était bien sûr pas la réalité, certaines partitions ont été jouées dans de nombreux pays : URSS, Europe, USA, Canada, Argentine. Un recueil de ses œuvres a été publié en Arménie en 1987 et d’autres  en Russie.

Levon Atsvazadourian est certainement avec Aved Derderian et Tigran Mansourian l’un des plus avant-gardistes compositeurs d’Arménie. Sa démarche créative a tout d’abord été figurative, classique, mais peu à peu, ses idées musicales sont devenues plus abstraites sans pour cela perdre leur origine génétique. « En partant de la donnée que toutes les œuvres musicales parvenues jusqu’à nos jours ont été écrites avec la technique utilisée à l’époque de leur création, il est visible que le matériel folklorique présente aussi des solutions organiques qui apparemment peuvent coïncider aux procédés de la technique musicale actuelle »

 Dans ses dernières œuvres, l’expression de la pensée philosophique et l’aspect intellectuel et symbolique du discours rendent finalement inutile l’interprétation de ce que  l’écoute ne peut traduire, c’est pourquoi, comme celles du compositeur Viennois A. Schoenberg, certaines de ses œuvres n’ont pas vraiment besoin d’être jouées…. L’émotion intellectualisée libérée du hasard, spontanément filtrée par le canal de la raison et c’est là que vient la profondeur sérieuse de la concentration (Marc Aranovsky 1979).

En 1980, alors que nous étions chez lui avec un ami,  Levon Atsvazadourian prit le manuscrit de sa Symphonia, le partagea en deux et nous l’offrit…vous connaissez à présent un peu mieux cet homme, qui après avoir tant donné à son peuple, parti finalement dans une certaine indifférence, le 15 octobre 2002, quittant un monde qui n’était pas le sien mais où il avait choisi de vivre…..

Œuvre complète :

Piano Sonate brève (1958), Partita (1964) Prologue et Motet (1970) La princesse de Cilicie (1993) In Memoriam 1988 (1998) Holographiques et boucles étranges (1995)

Vocales : Lacrymosa maggiore oratorio (1995) Ballade biblique (1996) Sonnet (2000)       Ensemble instrumental et deux pianos : Burakan (1981) Intégral (1988) Structures spaciales (1983) Rapsodie psalmodique pour violoncelle et ensemble (1998) Prologue Havik (1964) Masques et visages pour violoncelle (1998) Digitales rouges (1995) Lacrymosa dies illa (refrain funèbre pour des souffrances inconnues pour violon et piano (2000) Œuvres symphoniques : Symphonia (1970) Mélogonies (1983) Symphonia n°2 Tuba mirum (1990) G.F.D.A. avec algo rythmique magnéto plaquages (2000) Musiques enfantines : Le pivert et le coucou, Cantate (1998)

Alexandre Siranossian

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