Dans l’histoire de la musique arménienne, Magar Ekmalian (prononcer Yekmalian) pédagogue, chef de chœur et compositeur occupe une place particulière, celle de qui parvint à imposer officiellement une version polyphonique de la liturgie arménienne. Avant lui, Kara-Mourza avait connu les pires difficultés avec le clergé arménien dans ses tentatives de faire chanter la messe par un chœur à quatre voix. Pourtant, dès 1870, des essais d’harmonisation de la liturgie arménienne avaient déjà commencé, avec Bianchini (Venise) et Apkarev (Inde)
Magar Ekmalian est né à Vagharchapat (Etchmiadzine) le 21 janvier 1856. Ses parents, paysans, étaient originaires de la région d’Alachguerd du village d’Ekmal en Arménie Turque. L’enfant fait ses études primaires à Etchmiadzine. Ses professeurs ayant décelé ses facililtés musicales, le présentent à Nigoghos Tachdjian, qui est venu de Constantinople pour travailler à l’élaboration et la transcription de la musique sacrée arménienne. Afin de réaliser cet immense travail, il sollicite la collaboration de quelques élèves, dont Magar Ekmalian. Grâce à cela, le jeune homme va acquérir une connaissance approfondie de la liturgie. En plus de la musique religieuse, il se familiarise avec la musique populaire grâce aux traditionnelles fêtes populaires d’Etchmiadzine réunissant des milliers de villageois, venus de la plaine de l’Ararat. Lors de ces rencontres, la musique et la danse tenaient une grande place.
En 1874, s’ouvre à Etchmiadzine le Djémaran Kévorkian, qui va jouer un rôle considérable dans le développement de la vie culturelle. Nigoghos Tachdjian, ayant terminé sa mission, retourne à Constantinople. Magar Ekmalian est invité à le remplacer. Conscient des qualités exceptionnelles du jeune musicien, le Catholicos Kevork IV l’envoie à Saint-Pétersbourg pour perfectionner ses connaissances musicales. Magar part dans la capitale russe en 1878 et rencontre d’énormes difficultés, compte-tenu de son niveau musical classique modeste. Malgré son échec à l’examen d’entrée, il est autorisé à suivre les cours en élève libre ! Ses études dureront finalement dix années… Il rencontre des géants de la musique russe comme A. Rubinstein, P. Tchaïkovski ou Rymsky Korsakoff, qui deviendra son professeur. Pour son diplôme final, il compose une cantate « Les tourments de Rosa » pour solistes, chœur et orchestre symphonique, créée sous sa direction le 28 mai 1888. Le jeune musicien a également écrit diverses pièces pour piano dans le style de Chopin.
Sa formation classique terminée, Magar Ekmalian prolonge son séjour de 2 ans, on lui propose de s’occuper de la musique de l’église arménienne de la ville. L’élaboration de sa messe va commencer…
En 1891, Magar Ekmalian retourne à Etchmiadzine. Son protecteur, le Catholicos Kevork IV étant mort, il s’installe à Tiflis et enseigne à l’école Nercessian. Il crée un chœur masculin et fait chanter des extraits de sa messe pour l’église de l’école. Il obtient un accueil très chaleureux de la population. Rappelons qu’au même moment, les églises russes et géorgiennes avaient déjà une tradition chorale importante. Les religieux ne partagent pas cet enthousiasme, considérant que la transcription polyphonique est contraire à la tradition arménienne. D’autres trouvent l’harmonisation sans intérêt. Pour mettre fin à ces critiques et éviter de renouveler l’échec de Kara-Mourza, Magar Ekmalian, retourne à Saint-Pétersbourg où il soumet sa « Messe » à l’appréciation du comité musical du Conservatoire Impérial qui avait parmi ses membres des sommités comme Rymsky Korsakoff et Balakirev)
L’accueil, très favorable, se concrétise par deux diplômes datés des 13 et 19 janvier 1893. Ces diplômes précisent que « l’harmonisation à trois et quatre voix est dans un style qui permet de les chanter dans la liturgie. ».
La partition de la messe est écrite à trois et quatre voix, pour chœur d’homme ou mixte. On connaît trois versions, la première et troisième comportent des mélodies d’Etchmiadzine, la seconde des mélodies de Constantinople. La partition comporte une partie d‘ orgue.
Fort de ces diplômes, Magar Ekmalian retourne à Etchmiadzine, demande et obtient en 1895 du Catholicos Khrimian Hayrig qu’il autorise la diffusion et l’édition de la messe par un « Gontag ». Avec l’aide de mécènes et des Mekhitaristes, la messe dédiée à la mémoire du Catholicos Kévork IV est éditée à Leipzig par Breitkopf et Härtel en 1896. Grâce à l’appui du Catholicos, et de Kara-Mourza qui en donne des extraits à ses concerts, la messe est peu à peu chantée dans les églises arméniennes.
Elle sera donnée pour la première fois à Constantinople en 1906. Jusqu’à cette date, seule la messe de Tchilinguirian était admise et ce changement suscite de nombreux débats.
Extrait d’un article paru dans l’hebdomadaire « Louys » du 25 mars 1906 : Le chant à plusieurs voix n’est pas une nouveauté et ce qui est nouveau est contre le maintien de l’esprit, spécialement notre église… Pour que notre église demeure purement arménienne, elle doit rester dans sa forme originelle. Il n’y a pas d’autres solution…pas de polyphonie, seulement la monodie comme cela est, à travers les siècles… chanter à une voix et d’une seule voix. ..Pas d’instruments polyphoniques ou mélodiques…durant la prière tout instrument doit être interdit.
Le rôle joué par Magar Ekmalian dans la diffusion de la messe est tel que le reste de son œuvre est demeuré ignoré. Il a joué un très grand rôle dans l’harmonisation de chants religieux, populaires, nationaux, citons « Dèr Guètso, Ov hayots Asdvadz, Hov tou Parégam, Mèr hask aladzvadz, Lerets ambèr egan, Guiliguia, Guétsé Zeitoun, Kélé Kélé, Ov Arèk, Lusnag Anouch, Tchèm guernar Khagual ». La plupart de ces chants ont été repris et immortalisé par son élève le R.P. Komitas….
Il a également été le premier à s’intéresser aux chants du moyen âge, écrit de nombreux chants pour enfant et mis en musique les textes de Alichan, Raffi, Béchiktachlian, Il a eu de prestigieux élèves comme A. Chamouradian, Chara Dalian, Armen Tigranian et bien sûr Komitas « Novembre 1895 : en ce moment, j’étudie (gratuitement) auprès de Magar Ekmalian, la musique, l’harmonie, la pédagogie et la composition et ce jusqu’au mois de mai. Je participe également au chœur de l’école dirigé par Magar Ekmalian pour étudier également la direction de chœur et le chant ».
En 1902, à 47 ans, Magar Ekmalian, le compositeur est frappé par une terrible maladie mentale. Il s’éteint le 6 mars 1905 à Etchmiadzine. Durant ces trois années il aurait hélas détruit de nombreuses œuvres, d’autres ont également été perdues après sa mort. C’est probablement pour cela que Magar Ekmalian est connu uniquement comme l’auteur de la messe !
Alexandre Siranossian