Nighoghos Tigranian (1856-1951)

Peu connu du grand public, N. Tigranian est un acteur majeur du processus de sauvegarde et  d’élaboration de l’identité et du patrimoine musical arméniens. Comme K. Kara-Mourza et M.Ekmalian il fut  l’un des premiers à transcrire des chants et danses populaires arméniens transmis par la tradition orale. Il a le mérite d’avoir élargi son action à la musique des  autres peuples du Caucase.  

N.Tigranian naît le 19 aout 1856 à Alexandropol (Gumri). Cette cité a joué un très grand rôle dans la culture arménienne de la deuxième moitié du XIX° siècle. On pouvait entendre dans cette ville de garnison des musiques populaires, des Achougs, mais également de la musique européenne et russe grâce aux fanfares militaires qui donnaient des concerts en plein air.

N.Tigranian perd la vue à la suite d’une maladie à l’âge de neuf ans. Ses parents consultent des spécialistes à Tiflis et Vienne (Autriche), sans résultat. L’enfant est alors  inscrit dans une école pour non-voyants de Vienne. Il y reçoit  une éducation musicale qui se poursuit à l’Académie Supérieure de Musique. En 1880, ayant terminé ses études, il rentre dans sa ville natale.

N.Tigranian commence à transcrire pour le piano un certain nombre de pièces. Il relève en braille des musiques persanes, turques, arméniennes et géorgiennes. Le premier recueil est édité  à Moscou en 1888 sous le titre « Chants et Danses de Transcaucasie » de Nikolaos Tigranov. Les 7 pièces de l’Opus 1 sont : Ah dila dilad (Géorgienne) Jnguèr, Cilicie, Danse arménienne, Danse en rond,  Kho papagov (Arménienne) : Charachoup (Persane)

Sa collaboration à partir de 1887, avec le célèbre thâriste Aghamal Melik-Aghamalov (Aghamalian) qui excellait dans la musique persane va lui permettre de transcrire et arranger des Mourams,  genre de musique persane monodique improvisée dans des modes orientaux.

Il en transcrit les meilleurs pour violon et piano comme  Chakhmaz. 

Ces pièces, harmonisées, obtiennent un grand succès non seulement dans le Caucase mais également en Russie et en Europe auprès des spécialistes de musique orientale.

Pour perfectionner ses connaissances, le jeune musicien se rend en 1993 à St Petersburg et y rencontre des compositeurs russes, en particulier Rimsky Korsakoff, qui s’intéresse vivement à ses travaux.

Rappelons qu’au XIX° siècle, la culture de la Russie du sud et le Caucase, appelés également  l’Orient Russe,  a bénéficié d’un engouement considérable de la part des musiciens russes qui y ont trouvé une source d’inspiration nouvelle pour l’élaboration de leur musique nationale.

En 1894, N.Tigranian donne son premier récital de piano le 22 avril à Saint-Pétersbourg avec un programme d’œuvres de Beethoven, Chopin et de ses propres œuvres. Ce récital sera suivi par des concerts à Moscou, Nakhitchevan sur le Don, Tiflis, Chouchi et  Alexandropol. A Tiflis, le journal Mechag relève que le musicien réussit à jouer sur le piano des musiques orientales sans dénaturer leur âme.

Durant son séjour, il rencontre le jeune Alexandre Spendiarian, qui est encore étudiant. Cette rencontre sera très importante pour A. Spendiarian qui retrouve ses liens avec la musique arménienne et cela décidera de son orientation artistique. A son retour en Crimée et, comme N. Tigranian, il transcrit la musique populaire des Tatars, Bachkirs et Juifs. Plus tard, A. Spendiarian, dans son opéra Almast,  utilisera deux Mourams recueillis par N.Tigranian. Idem pour sa Marche Perse, qui connaitra un grand succès.

N.Tigranian travaille sur un éventail très large dans le domaine musical.  Excellent pianiste, il est connu dans les milieux arméniens et russes. Grâce à lui, le public découvre la musique du Caucase.  En plus de ses concerts, il enseigne la musique orientale et cherche à en faire découvrir la personnalité donnant ses exemples au piano.

En 1900, il participe à l’exposition universelle de Paris en qualité de précurseur de la transcription et de l’arrangement de musiques orientales. Il reçoit une médaille de bronze.

On doit rappeler que son passage à Paris sera suivi des premières publications de musique arménienne de la Scola Cantorum.

N.Tigranian est considéré comme un grand spécialiste de musique orientale. Ses conférences et ses articles dans la presse russe et arménienne suscitent l’intérêt des plus grands compositeurs de l’époque. Il aura une influence sur des musiciens comme A.Tigranian, S. Parkhoutarian, A. Spendiarian, A. Khatchatourian, M. Ipollitov-Ivanov, K. Kozatchenko, R. Glière.

Pour ce qui est de la musique arménienne, ses transcriptions de chants et danses contribuent à la naissance du patrimoine musical national. Citons Duz bar, Ed ou aratch, Tars bar, Vart gochig, Chavali, Erevanian denki, Findjan, Avec l’aide du compositeur russe Tzernov, il transcrit des pièces pour orchestre symphonique qui seront jouées par l’orchestre symphonique de St-Petersburg.

Tigranian crée en 1922 à Léninagan, une école pour non voyants où il enseigne la musique et ses amis publient un recueil consacré à la vie et l’œuvre du musicien : N. Tigranian et la musique orientale (1927)

Plus tard, N.Tigranian s’installe à Erevan où il disparaît le 17 février 1951. Il est alors âgé de 95 ans.

Ce grand musicien aura côtoyé trois générations au cours de sa longue carrière. Il aura servi la musique arménienne mais également celle de nombreux peuples pour lesquels il restera un musicien éminent. Il aura sauvé de l’oubli de très nombreux trésors de la musique populaire. Il aura écrit pour le piano, le chant, le violon. Il aura composé de la musique de chambre (quatuor à cordes, trio), mais aussi pour  ensemble symphonique et pour les instruments populaires.

Cas unique dans l’histoire de la musique arménienne, il a put connaître l’évolution du langage  musical de son peuple et entendre les œuvres de successeurs auxquels il a survécu.

En 1903, parait un album artistique dédié au peintre Aïvazovsky (1817-1900), grand amateur de musique. On y trouve plusieurs œuvres de compositeur russes et arméniens amis du peintre, en particulier N. Rimski-Korsakov, C. Cui, A. Spendiarian, Komitas. N.Tigranian y participe avec une danse jouée traditionnellement au thâr et transcrite pour piano : Rangui sous titrée : La danse du soleil des jeunes filles. Cette pièce, sous le nom de Erangui  se retrouve sous une  version  différente dans un manuscrit de Komitas (1902). Le musicologue Robert Atayan, dans son édition des œuvres de Komitas (vol. 6) analyse la concordance des deux sans conclure à l’antériorité de l’une par rapport à l’autre. Plus tard, Erangui sera arrangée pour quatuor ou orchestre à cordes par S.Aslamazian, sous le nom de  Danse de Vagharchapat . Arno Babadjanian, écrira sous ce même titre, une version virtuose pour piano (1947) qui contribuera à sa célébrité.

Ces versions de Komitas, Aslamazian et A.Babadjanian sont toutes les trois des œuvres majeures du patrimoine musical  et N.Tigranian aura pu les entendre…

Moins connu que  Komitas, figure légendaire reconnue internationalement, N. Tigranian mérite notre reconnaissance  pour sa contribution à la sauvegarde et au développement de la musique arménienne.

                                               Alexandre Siranossian


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