Alexandre Spendiarian (1871-1928)

Sur la grande place de l’Opéra, lieu de rendez vous des grandes manifestations qui ont précédé l’indépendance de l’Arménie, les touristes peuvent admirer les deux grandes statues de Hovaness Toumanian et Alexandre Spendiarian. Rares sont ceux que savent que dans les jardins, à droite, se trouve la tombe du compositeur.  Découvrons ce grand homme qui a le privilège de reposer en plein cœur d’Erevan.

Alexandre Spendiarov

Né le 1° novembre 1871 à Kakhovka en Crimée. L’éducation musicale d’Alexandre a commencé avec sa mère excellente pianiste, l’enfant qui montre des dispositions exceptionnelles pour le piano et le violon, compose également des mélodies et s’intéresse au dessin. Pourtant, c’est pour des études de droit qu’il part à 19 ans à Moscou. Il intègre l’orchestre symphonique de l’Université dirigé par un musicien éminent, S. Klenovsky, qui décèle rapidement les dispositions musicales du jeune homme.

Durant ses études, vivant dans une modeste chambre il fréquente d’autres étudiants arméniens,  comme le poète Alexandre Dzadourian auteur du poème  Rose d’Arménie, entend ma prière  que le  jeune musicien mettra en musique.

Les familles  arméniennes de Moscou créaient des liens avec les jeunes étudiants, les invitaient à des soirées artistiques où l’on jouait de la musique russe, classique et arménienne. Parmi ces familles, citons celle de Sergueï Chahinian, le père de la grande poètesse Margueritte Chahinian.

Durant ces soirées, on parlait de la culture mais aussi de la souffrance du peuple arménien. Le jeune compositeur écrira en 1892 de nombreuses romances et une année plus tard, une Marche-Fantaisie pour fanfare avec des thèmes de musique arménienne entendus durant ces soirées. Après ses études de droit, en 1896, il décide de se rendre à Saint-Pétersbourg pour y rencontrer le grand compositeur Rimsky Korsakoff : « Jusqu’à cette rencontre, je n’étais pas décidé quant à mon orientation future. Après avoir étudié mes œuvres, Rimsky Korsakoff y a trouvé toutes les qualités nécessaires à la composition. Mon bonheur a été immense lorsque le grand compositeur a proposé de m’admettre dans sa classe d’harmonie au Conservatoire de St-Petersburg. A partir de là, j’ai été certain de ma vocation. »

Un compositeur reconnu par ses pairs

En 1900, après la création de son ouverture de concert (sous sa direction) de grands éditeurs de musique comme Belaïeff publient ses premières œuvres…Installé à Yalta, sa maison devient un véritable centre culturel fréquenté notamment par l’écrivain  Maxime Gorki.

Très lié à Aïvazovski qui lui fit découvrir les airs populaires Tatars au violon, il participe en 1902 à un album artistique dédié à la mémoire du grand peintre récemment disparu. On y trouve des œuvres musicales spécialement écrites par les plus grands compositeurs russes mais également arméniens comme  N.Tigranian et Komitas.

En 1905 l’Orchestre symphonique de Moscou crée ses images symphoniques sur un poème de Lermontov Les Trois Palmiers « Après cette œuvre, les compositeurs comme Rimky Korsakoff, Glazounov, Liadov, m’ont considéré depuis  comme un des leurs ! »

Spendiarian entreprend une collecte de chants et danses des Tatars et Bachkirs de Crimée. On peut penser qu’il a suivi les conseils de Nighoghos Tigranian (dont les  travaux sur les musiques populaires du Caucase faisaient autorité) et peut être du R.P. Komitas. Ses  Esquisses de Crimée (1912) pour orchestre, inspirées de thèmes populaires Tatares obtiennent un grand succès. En 1914, le compositeur dirigera cette œuvre avec l’orchestre de Saint-Pétersbourg.

Durant toutes ces années en Crimée, Spendiarian isolé du milieu culturel arménien très dynamique de Tiflis est cependant resté en contact avec de nombreux intellectuels. La guerre et les massacres de l’Empire Ottoman remettent en question cet isolement. Un mouvement de bienfaisance est organisé à Tiflis pour aider les réfugiés. Dans ce but, de nombreuses manifestations culturelles participent à la collecte de fonds. De très grands artistes y sont invités, parmi eux A. Spendiarian, qui ne connaissait pas le Caucase. Il reçoit un accueil extraordinaire, comme il n’en avait jamais connu. Sa rencontre avec Hovaness Toumanian, Chirvanzadé, R.Mélikian et de nombreux artistes, écrivains et intellectuels le bouleverse. Pour les remercier, il décide d’écrire une grande œuvre en collaboration avec H. Toumanian. Dans un premier temps, il s’intéresse à  Anouch , mais finalement ce sera un opéra,  Almast  dont Spendiarian écrira une grande partie, mais qui sera achevé par un élève de Rimsky Korsakoff et représenté pour la première fois en russe à Moscou (1930).

Alexandre Spendiarian

Spendiarian s’installe en Arménie en 1924, invité par le gouvernement à créer et diriger le Conservatoire de musique. Sa notoriété internationale et sa popularité provoquent un retour au pays de très nombreux artistes comme A. Der Guevontian, la cantatrice Hayganouch Tanielian (qui deviendra la première Anouch de l’Opéra d’Erevan), Chara Dalian, le célèbre chef d’orchestre Mélik-Pachaièv ainsi que  de très nombreux instrumentistes.

Sous l’impulsion de A. Spendiarian et grâce à l’arrivée de tous ces grands musiciens, le Conservatoire prend une notoriété imprévue qui va tout naturellement favoriser la création d’un orchestre symphonique et d’un atelier d’art lyrique.

Le 10 décembre 1924, il dirige le premier concert entièrement consacré aux œuvres de compositeurs arméniens. Dans ce programme, Spendiarian crée ses  Etudes d’Erivan  inspirées de la musique de Sayat Nova et de chants populaires comme Goujn ara…..

A Erivan, il découvre à 53 ans la tradition musicale populaire arménienne. Instrumentistes populaires, achougs, et chanteurs populaires sont pour lui une nouvelle source d’inspiration.

Il est possible de classer le style de ses  œuvres en trois périodes : la première, plutôt russe lorsqu’il vivait à Moscou et Saint-Pétersbourg, la deuxième, inspirée des musiques populaires de Crimée et enfin, la période arménienne, la plus courte.

Son œuvre complète (dix volumes) a été éditée en Russie. On y trouve son opéra Almast,  de nombreuses œuvres symphoniques, une quarantaine de romances sur des textes de poètes russes, certaines publiées dans une traduction arménienne, des pièces pour piano, piano à quatre mains et divers instruments.

Spendiarian a été le premier compositeur arménien à nouer des liens amicaux avec des compositeurs russes. Cette amitié n’a pas seulement influencé son œuvre, elle a également facilité la découverte de la musique orientale à ses amis. Cette amitié s’est prolongée avec les nouvelles générations, d’Aram Khatchatourian à nos jours. Ce dernier qui a bénéficié de ses conseils lui a rendu hommage en 1961: « Il a montré pour la première fois dans les Etudes d’Erevan les méthodes d’arrangements (symphonique) des mélodies populaires. Les compositeurs avant lui limitaient leur création à la musique vocale…Spendiarian a ouvert les voies du développement de la musique symphonique nationale lui donnant ne autre envergure. »

En 1926, le gouvernement l’a nommé au rang d’Artiste du peuple. Le 7 mai 1928 disparaît le fondateur de l’opéra et de la musique symphonique arménienne. Sa maison a été transformée en Musée et 1967 et le centenaire de sa naissance fêté dans tout le pays, enfin, en 2008, pour la première fois depuis sa mort, une cérémonie religieuse a été donnée pour le repos de son âme.

                                                                        Alexandre Siranossian

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