Armen Tigranian (1879-1950)

Auteur du légendaire Opéra Anouch, le compositeur Armen Tigranian est à peu près inconnu du public. Celui qui a enrichi le patrimoine lyrique arménien d’un exceptionnel chef d’œuvre n’a pas l’honneur d’être immortalisé au coté d’Hovaness Toumanian  devant l’opéra à Erevan.

Né à Alexandropol en 1879, ville célèbre pour sa tradition musicale, A.Tigranian a grandi dans une modeste famille d’horlogers. Il commence par jouer de la flûte et participe à un ensemble d’instruments à vents. En 1894, sa famille s’installe à Tiflis mais revient peu après à Alexandropol. Kara-Mourza, héraut de la musique arménienne, est en ville  pour y donner un concert. Dans ce but, il crée un chœur. Le jeune Armen qui y participe, en gardera plus tard un souvenir inoubliable.

En 1898, la famille retourne à Tiflis. Armen est admis en classe de flûte au Conservatoire Impérial de Musique dont le directeur, S.Glenosvki, était connu pour sa sympathie envers les arméniens. Il étudie également durant deux années avec M.Ekmalian qui l’encourage dans sa vocation musicale. Durant cette période, il assiste souvent aux représentations des plus grands opéras  de Verdi, Bizet, Rossini, Tchaïkovski et rêve d’écrire un opéra arménien.

En 1902, ses études terminées, Armen Tigranian retourne dans sa ville natale et se consacre à l’enseignement, à la direction de chœurs et à l’étude des chants populaires et des Achougs. Le succès de son premier concert en octobre 1902 fait de lui un nouvel acteur de diffusion de la musique arménienne.     

De 1905 à 1908, A.Tigranian enseigne la musique dans les écoles, compose des chants, écrit des articles et donne des conférences sur la musique du Caucase. En 1908, sa rencontre avec Hovaness Toumanian va ranimer son rêve d’étudiant : émerveillé par le poème Anouch, il juge l’histoire parfaite pour un livret d’opéra. (Avant lui, le R.P. Komitas était également en contact avec l’écrivain pour les mêmes raisons !)

Un opéra populaire

Tigranian se met au travail, avec une contrainte majeure : la ville d’Alexandropol ne possédant aucune structure musicale permettant de jouer un opéra mais seulement des fanfares militaires, cette œuvre devra être chantée et jouée par des amateurs. En dépit de ces handicaps, la création d’Anouch est annoncée le 4 octobre 1912 dans la Maison Populaire. Le rôle d’Anouch est confié à la soprano Astrig Mariguian, élève du conservatoire de Tiflis, Saro au jeune ténor Chara Dalian, élève à l’école Nercessian, la mère à A.Dalian, et Mossi à V.Mardirossian. L’orchestre est composé de 14 jeunes musiciens dirigés par Bourkovitch, les décors et costumes sont loués. En dépit de tous ces handicaps, le succès de la création est aussi immense qu’inattendu, l’enthousiasme du public inimaginable. Hovaness Toumanian absent, se fait représenter par ses deux enfants. On note un auditeur de marque : le célèbre musicien Nigoghos Tigranian.

Encouragé par ce succès, Tigranian donnera en 1912 et 1913, avec sa troupe près de cent représentations dans les communautés arméniennes du Caucase, toujours avec le même succès. Ce n’était certainement pas facile partout, surtout pour des raisons techniques. Il faut rappeler que ces représentations étaient données dans un cadre amateur, par des amateurs mais pour des amateurs de musique !

Le public retrouvait à travers les chants des solistes et les danses des thèmes qu’il pensait déjà connaître (Plus tard, en réponse aux affirmations de certains musicologues d’Arménie prétendants que les trois arias de « Saro » étaient inspirées de mélodies populaires, A. Tigranian a précisé que les mélodies étaient de son inspiration.).

Anouch a également été représenté  dans une version plus proche de l’opérette avec des textes déclamés suivis de chants, y compris en Turquie en 1920-1921 par la Troupe d’Opérette du Caucase. Il a aussi été traduit en langues turque et grecque en 1955 et souvent joué en langue azéri à Bakou.

En 1913, le compositeur retourne à Tiflis, devient un membre actif de l’Association Arménienne de Musique, écrit de nombreux articles sur la musique et se lie d’amitié avec H.Toumanian, A.Chirvanzadé, V.Dérian, T.Démirdjian, les peintres K.Bachindjarian et E. Tatéossian, etc…Grâce à son expérience pédagogique, il contribue à la réorganisation musicale dans les écoles et devient un des responsables de la création d’une Maison Artistique Arménienne de Tiflis. Il s’intéresse également à l’Association des Compositeurs d’Arménie et Géorgie.

En 1919, la représentation d’Anouch à Tiflis sera un des moments forts  de la commémoration du cinquantième anniversaire de H.Toumanian. Durant les années 1920-1930 A. Tigranian écrit des chants à succès, des pièces pour piano, une cantate dédiée à l’Arménie et des musiques de scène.

Un bien national…

A.Tigranian reprend la partition de son opéra Anouch pour des représentations de la Troupe Lyrique et le Ballet d’Arménie. Il travaille en collaboration avec le musicologue S. Tchatiryan. L’ oeuvre profondément remaniée est enfin représentée en 1935 (vingt trois ans après sa création) par des artistes professionnels. Le public est toujours aussi enthousiaste et le succès jamais démenti. Une deuxième révision sera faite en prévision de la Décade Arménienne de Moscou en 1939. C’est la première fois que l’opéra sera représenté pour un évènement de cette importance. Il est donc décidé de créer un comité qui aura comme mission de remanier l’œuvre. On note la présence dans ce comité de compositeurs comme A. Der Khévontian, M. Tavrisian, G. Saradjian, K. Kouchnarian et R. Stépanian. L’orchestration est confiée à A. Der Khévontian. Cette nouvelle version comprendra 5 actes et 7 tableaux. Elle est toujours représentée sous cette forme  en Arménie.

Le succès d’Anouch, comparable à celui de Carmen (G.Bizet), immortalise ses principaux interprètes : Anouch (Hayganouch Torossian et Kohar Gasparian), Saro ( Chara Dalian et Avak Bedrossian). Si les visiteurs de l’Arménie assistent aux représentations comme à une cérémonie, les milieux musicaux d’Erevan sont plus  critiques : certaines innovations musicales et mises en scène sont parfois l’objet de débats passionnés. L’enregistrement de 1955, les décors de Mardiros Sarian et plus tard de  Minas Avedissian contribuent au succès d’Anouch que l’on ne se lasse pas de voir et écouter.

Durant la deuxième guerre mondiale, Armen Tigranian écrit des chants et des marches pour orchestre symphonique. Il reprend le projet d’un deuxième opéra, David Begh  mais  meurt le 10 février 1950 avant d’en avoir commencé l’orchestration. Le chef d’orchestre K.Boudarian et le compositeur Khodja-Einatian  seront chargés de terminer l’opéra. Il sera créé neuf après la mort du compositeur et depuis fait partie du répertoire. Anouch et David Begh ont été édités en version chant et piano par l’Arménie en 1981.

Signalons que plusieurs œuvres sont restées inachevées :  Leyli majnoun, Mi gatil mér, Kikos, etc… Armen Tigranian a également traduit en arménien certains grands opéras du répertoire comme Carmen de Bizet ou Rigoletto de G.Verdi.

Il restera dans l’histoire de la musique arménienne comme l’auteur d’une seule œuvre : l’opéra Anouch, symbole de la quête identitaire des arméniens du Caucase au début du XX° siècle. Trente ans plus tard, Aram Khatchatourian donnera à son peuple avec le ballet Gayaneh un nouveau symbole de sa renaissance et de son génie…..

 Alexandre Siranossian

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