La famille Sinanian

L’histoire de la famille Sinanian est  comparable à celle des Bach ou des Strauss à Vienne. Une  lignée qui  s’étend sur trois générations : Krikor, fondateur du premier orchestre arménien, ses cinq enfants, tous musiciens, le plus célèbre étant Haroutioun et enfin un des petits-fils, Kevork, violoniste virtuose très connu. Grâce à eux la tradition du violon s’est imposée en Orient au coté du traditionnel kéman….. 

Krikor Sinanian

Né à Galata en 1836, le destin de Krikor Sinanian est lié à celui de son peuple. Devenu orphelin, il vit une enfance très difficile. Envoyé à Constantinople, dès l’âge de dix ans, il devient apprenti chez un fourreur. Il aime écouter la musique et chanter mais il est peu probable qu’il puisse un jour étudier la musique. Pourtant, vers l’âge de 16-17 ans, il commence à étudier le violon pour jouer des mélodies populaires. Si l’on excepte les leçons de musique et chant prises auprès de Der Garabet durant deux années, c’est un autodidacte !

L’orchestre Sinanian

En 1861,  Krikor crée un petit orchestre composé de deux violons, une contrebasse, une flute, une trompette, un trombone et une clarinette devenant ainsi le fondateur du premier orchestre classique arménien.( photo) Rapidement, le nombre de musiciens passera à quinze. Il dirigera et développera cet ensemble et enseignera la musique à de nombreux élèves parmi lesquels certains deviendront de très bons musiciens. Parmi eux, ses cinq enfants : Veronica pianiste, Takouhie, Hovsep, Andon et Haroutioun, tous les deux excellents violonistes.

Krikor Sinanian, vivant à Constantinople, a été le témoin de l’évolution de la société culturelle. Il côtoie des hommes comme K. Yéranian et D. Tchoukhadjian et l’association  Knar,  qui a favorisé l’évolution de la musique, l’organisation de conférences, du théâtre musical et la publication d’un mensuel. Krikor Sinanian est consulté par les violonistes mais également par tous les musiciens. On peut dire qu’il est à l’origine de l’école arménienne du violon. Il disparait en 1914 à Constantinople.

Haroutioun Sinanian

Haroutioun (1872-1939) à la fois violoniste, pianiste, chef d’orchestre, compositeur et pédagogue eut son père comme professeur mais aussi D. Tchoukhadjian. Héritier du talent de son père, il grandit dans un milieu musical très favorable. Son talent précoce était si connu que le Sultan Abdülhamid le fit inviter au Palais Impérial, ce qui était pour les arméniens un évènement important ! Après son premier concert à 12 ans, il poursuit ses études à Paris. De retour chez lui, il poursuit son activité durant des dizaines d’années. Comme violoniste, il connaît également de grands succès en Europe, au Moyen Orient et aux USA.

Il est en outre un excellent pianiste, comme une histoire étonnante le confirme : le célèbre violoniste américain Michel Piastro, de passage à Constantinople pour des concerts, cherchait le meilleur pianiste. On lui conseilla Haroutioun. Au moment du concert, catastrophe, le violoniste avait oublié les partitions de piano. A la surprise générale, H. Sinanian proposa de jouer le programme par cœur…Ce fut un triomphe !

Succédant peu à peu à son père dès l’âge de seize ans, à la tête de l’orchestre, il porte l’effectif à 40 musiciens sous le nom d’Orchestre Sinanian ou Orchestre Arménien. Pendant 10 ans, il interprête et dirige les œuvres de Tchoukhadjian, Sinanian mais également Mozart, Beethoven, Rossini, Verdi, Wagner, développant ainsi la culture musicale  occidentale au sein de la population de Constantinople. Il dirige tous les concerts mais cède parfois sa place à D. Tchoukhadjian et son frère Andon Sinanian.

L’orchestre arménien a acquis à cette époque une grande renommée dans tout l’Orient. Les milieux musicaux de Tiflis lui ont même proposé de transférer  l’orchestre dans cette ville. En raison des troubles et massacres à l’époque du Sultan Abdülhamid, causant la mort de plusieurs musiciens en 1896, l’orchestre est dissout.

Sinanian se produit alors en concert comme soliste en dehors des frontières de l’Empire Ottoman. En 1903, après un concert de ses œuvres à Paris, Haroutioun et son frère Andon embarquent en 1905 pour l’ Egypte où ils seront très bien accueillis. De retour à Constantinople, ils donnent un concert au Théâtre de l’Odéon, et de nombreux concerts de bienfaisance, jusque dans des hôpitaux.

Haroutioun a écrit dès son jeune âge de nombreuses compositions et obtenu beaucoup de succès, tout particulièrement avec ses arrangements de chants citadins ou d’airs célèbres. Contrairement à D.Tchoukhadjian, son œuvre est essentiellement instrumentale. Il a écrit près de 70 pièces pour violon, piano, mandoline et pour orchestre : Etudes, mazurkas, polkas, valses, marches fantaisies. Mis à part une Marche de Mékhitar opus 21, rien ne permet de reconnaître l’origine du compositeur.

Après l’Opus 45 : Marche Union et Progrès probablement datée de 1908,  H.Sinanian publie en 1913 une suite d’arrangements de Chants populaires arméniens                                                       : Dzidzernag, Arik haygazoun, Mayr Araksi aperov, Piur Tsaynits, Pamp orodan, Dalvorig, Vo intch anouch, Marche Antranig. On remarque que le terme populaire n’a pas encore chez Sinanian le même sens chez Komitas….

H.Sinanian a eu toute sa vie envers D.Tchoukhadjian dont il était considéré comme le successeur, une attitude admirative et reconnaissante, participant à la diffusion de ses œuvres. On lui doit l’arrangement symphonique de Karoun. Nous en avons un témoignage  enregistré par le chanteur Pézazian.  Sinanian a également réalisé et publié une version avec piano de l’opéra Archag II dont il a donné de multiples représentations. En 1907, avec le bénéfice de ces concerts, il a fait réaliser un monument funéraire  digne du génie de D. Tchoukhadjian, enterré à Smyrne, dans le carré des  « indigents ».

Retour aux sources…

H.Sinanian a largement contribué à la réalisation à Constantinople de la Maison artistique arménienne dont le but était de favoriser le développement d’un art nouveau.   Son activité pédagogique fut très importante. Il fit traduire en arménien les ouvrages pédagogiques utilisés au Conservatoire de Paris. On compte parmi ses élèves violonistes V. Mouhendissian, M. Darendelian, N Allalemdjian, O. Berberian et son neveu K. Sinanian.

Le plus étonnant est que cet homme célèbre, conscient du génie de Komitas, demanda à devenir son élève. Une situation comparable à celle de G. Gershwin, compositeur mondialement connu qui demanda  des leçons à M. Ravel. Lorsqu’ il lui dédicaça ses Chants nationaux(1913) et sa Marche de Mesrop, Komitas aurait dit devant les autres élèves : Ces œuvres  sont la preuve que j’ai réussi à t’armèniser et qu’en plus tu n’es pas un Catholique fanatique !

Sinanian, personnage important dans la vie culturelle de Constantinople autant par ses multiples talents que par sa personnalité, fut nommé en 1926, président d’honneur du Comité Musical de la ville.

Son neveu et élève Kevork, né en 1906, fera une brillante carrière de violoniste. Après un premier concert en 1921, il poursuit ses études à Paris et obtient en 1928 son 1° prix de violon au Conservatoire Supérieur. Pendant 10 ans, il donnera des concerts en Europe et au Moyen Orient, s’installera aux USA et finalement choisira la France où il diécèdera le 15 décembre 2000. On connaît de K.Sinanian quelques œuvres originales et des arrangements sur des thèmes de musique populaires où l’on retrouve ses racines arméniennes !

Alexandre Siranossian

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