Le Révérend Père Komitas (1869-1935)

Figure emblématique du Panthéon arménien, Soghomon Soghomonian connu sous le nom de Komitas fait l’objet d’une littérature abondante. Il est toujours d’une grande actualité car son génie musical est associé à la grande rafle du 24 avril 1915. Son œuvre musicale aurait suffi à le rendre immortel, mais sa longue souffrance, conséquence de sa déportation, en a fait une légende et un symbole du calvaire vécu par le peuple arménien.

En première partie, nous vous proposons une biographie établie à partir d’une autobiographie de Komitas et enrichie de  quelques témoignages de ses contemporains.

Soghomon Soghomonian

Il naît le 26 septembre 1869, à Kutahya en Asie Mineure. Son père est natif de cette ville, sa mère de Brousse. Son père et son oncle Haroutioun étaient diacres à l’église St Théodore. Sa mère décède en 1870, son père en 1880. Sa grand-mère Mariam se charge alors de son éducation. En 1881, le prêtre Kévork Vartabed Tertsakian doit se rendre à Etchmiadzine pour y être ordonné évêque. Le Catholicos lui demande d’amener avec lui un jeune orphelin pour étudier au Djémaran d’Etchmiadzine. Sur 20 élèves, c’est Soghomon qui a été choisi.

On le présente au Catholicos Kévork V qui, s’adressant à Soghomon, lui pose une question en arménien. L’enfant lui répond en turc. Le Catholicos s’indigne et le réprimande durement.

Qu’es-tu donc venu faire ici ?

N’est-ce pour apprendre l’arménien que tu m’as fait venir à Etchmiadzine, interroge audacieusement l’enfant ?

Alors que sais-tu faire ? Je sais chanter. L’enfant chante… Il chante un charagan et les larmes jaillissent abondantes aux yeux de l’auguste vieillard. Celui-ci ordonne alors de confier Soghomon aux grands élèves pour qu’il apprenne l’arménien le plus rapidement possible..(Fred. Macler 1917)

Soghomon suit les cours du Djemaran de 1882 à 1893. Il profitera de ses congés scolaires et de ses moments de liberté pour prendre de plus en plus contact avec le peuple arménien et aller étudier sur place les chants populaires.

En 1892, de passage à Kuthaya, il recueille auprès de sa famille et leurs voisins une soixantaine de chants en langue turque composés par ses parents.

A Constantinople, il transcrit des chants anciens d’Agn. Lors d’une rencontre avec le rédacteur du journal  Hayrénik, il lui apprend qu’il a déjà transcrit plus de 200 chants, et que ses travaux sur les neumes anciens de la liturgie arménienne sont très avancés.

En 1893, le Catholicos Khrimian Hayrig le nomme  professeur de musique du Djémaran à la place de K. Kara-Mourza. Un mois plus tard, le nouveau professeur dirige pour la première fois à quatre voix le Hayr mèr » dans la cathédrale d’Etchmiadzine.

Dès 1894, il publie dans le journal Ararat une première étude sur la musique religieuse arménienne. Une année plus tard, le Sargavak Soghomon Soghomonian devient Vartabed  sous le nom de Komitas.

Komitas Vartabet

Comme pour le concert de Kara-Mourza en 1885 à Tiflis, le public qui assiste au premier concert de Komitas en 1910 est enthousiasmé par la musique qu’il entend et découvre : un art authentiquement arménien ! « L’âme arménienne vibrait sur scène…en si peu de temps, il a magnifiquement préparé les 300 exécutants…Ses chants nous ont transportés dans un autre monde, notre monde ancestral,…mais aussi dans les plaines et les montagnes ensanglantées… nous sommes heureux que Komitas ait su rester au dessus des critiques et des oppositions. »   !

Les conservateurs de l’Eglise réagissent à ce renouveau de la musique religieuse et à sa diffusion. Rappelons que la messe pour chœur de Magar Ekmalian autorisée en 1895 par le Catholicos Khrimian Haïrig n’a été chantée à Constantinople qu’en 1906. …

Komitas, après son premier concert, reçoit un courrier du Patriarcat : « Nous sommes au regret de vous rappeler que l’Eglise Arménienne est opposée à l’interprétation de chants religieux sur la scène d’un théâtre. En conséquence, nous vous interdisons de faire chanter la première partie de votre programme (chants religieux)…. »

L’Eglise avait-elle conscience du rôle joué par le Vartabed dans le renouveau de la conscience nationale ?

Komitas ne tient pas compte de ce courrier et continue son action musicale avec le soutien des intellectuels et libéraux qui condamnent la position rétrograde du Patriarcat. «  Depuis des années par mon travail, je me suis tracé une voie que j’ai suivie jusqu’à présent et que je continuerai à suivre aussi longtemps que j’en aurai la force. » Il donnera de très nombreux concerts, aidé dans sa mission par un comité qui organise et gère les concerts dont les bénéfices alimentent un fond destiné à la création d’un conservatoire de musique.

Malgré ses succès, Komitas n’est pas dupe, la liberté dont semblent jouir les arméniens depuis la révolution de 1908 ne peut faire oublier les  massacres d’Adana de 1909. Dans une longue correspondance à Archag Tchobanian sur l’avenir des arméniens, il écrit : Nous n’avons rien à espérer des turcs…..il avait hélas raison !

Komitas souhaite étudier au conservatoire de Tiflis. En 1895, il fait la connaissance de  Magar Ekmalian qui propose de l’aider : En ce moment, j’étudie (gratuitement) auprès de Magar Ekmalian, la musique, l’harmonie, la pédagogie et la composition et ce jusqu’au mois de mai. Je participe également au chœur de l’école dirigé par Magar Ekmalian pour étudier également la direction de chœur et le chant.

Komitas, qui a le désir de perfectionner ses connaissances musicales obtient le soutien du grand mécène Alexandre Mantacheff pour étudier à Berlin. En 1896, le directeur du Conservatoire Impérial, le célèbre violoniste Joachim l’oriente vers Richard Schmidt, qui  acceptera de le prendre comme élève privé.

« Bien que je joue déjà du piano,  j’ai tout recommencé pour établir des bases solides. Je suis resté avec ce professeur trois ans et terminé mes études. Dans le même temps, inscrit à l’Université Friedrich Wilhelm en philosophie, j’ai eu comme professeurs F. Pélerman, O. Flacher, K. Friedlender. ».

Collecte des chants arméniens :

 Je suis allé au monastère de Haridj (Chirag). C’était lors des fêtes de la transfiguration ; des pèlerins en foule étaient arrivés. Les jeunes paysannes, les nouvelles mariées et les garçons dansent, improvisent des chansons et chantent…J’étais déjà sur le toit dallé du bâtiment, crayon et papier à la main.

Komitas commence à être connu. Sa conférence de Berlin sur la musique arménienne a attiré l’attention du grand écrivain et poète Archag Tchobanian, installé à Paris. Ils se rencontrent à Paris en 1901. Pour Tchobanian, c’est une révèlation ! Il écrit un article dithyrambique dans son journal  Anaït. A Paris, Komitas retrouve le musicologue Pierre Aubry qu’il a connu en Arménie et fait connaissance avec Louis Laloy, professeur à la Sorbonne. La cantatrice Marguerite Babaïan, installée à Paris et Tiflis va bientôt faire la connaissance du musicien.

Tiflis, au printemps 1902 : Un ami prêtre m’apprend que le Vartabèd Komitas arrive d’Etchmiadzine et souhaite faire notre connaissance. Il serait heureux de chanter pour nous. Je m’empresse de réserver la grande salle du nouveau conservatoire et de réunir quelques amis. Nous l’attendons avec impatience. Dans la salle obscure, le Vartabed, maigre et vêtu de noir, entre en scène et s’assied au piano dans un grand silence. Pour la première fois, j’entends sa voix….Très vite, des flots de larmes jaillissent de mes yeux tant et tant que notre ami, troublé par mon émotion intense, demande à Komitas de s’arrêter et lui dit : Cela suffit, tu as tué notre amie (espanetsir).

Ce jour là, j’ai compris qu’il y avait  aussi  une musique arménienne et cela est lié à Komitas. (Marguerite Babaïan, cantatrice)

C’est à donc Paris que Komitas obtiendra une consécration internationale. Tchobanian et Marguerite Babaïan font intervenir toutes leurs relations artistiques et politiques parisiennes pour organiser un grand concert à Paris. Komitas peut compter sur ses nouveaux amis !   

Paris, novembre 1906 : «  Nous étions dans une grande activité pour la préparation du grand concert. Le R.P. Komitas me faisait travailler de nouvelles chansons, conseillait mon élève Mourounian et Shah-Mouradian. Il préparait les partitions pour les chœurs Lamoureux et bataillait pour leur faire prononcer l’arménien correctement. Pour ma sœur Chouchanig, pianiste, il arrangeait les Danses de Mouch.

Finalement, nous sommes arrivés au 1° décembre, la salle était comble, mais le Vartabèd était épuisé par la préparation.

Il est rentré sur scène avec son habit noir, a commencé à chanter Diramayr, pianissimo. Le public était figé d’émotion, l’impression est impossible à relater. Les personnalités musicales m’ont raconté plus tard qu’elles n’avaient jamais ressenti une émotion musicale si profonde et intense. » (Marguerite Babaïan)

Komitas a réussi son objectif : « Avec ce concert, j’avais comme projet de faire connaître au monde musical français la musique arménienne ». 20 ans après le premier concert de chant choral arménien de Tiflis, dirigé par Kara-Mourza, la musique arménienne est, dès 1906,  un art reconnu  par les milieux musicaux européens.

Ce concert sera suivi de nombreuses publications et donnera à Komitas une grande  notoriété. Il partira ensuite pour des concerts en Suisse et de nombreux pays.

 

Etchmiadzine..

1907 : Komitas  est invité avec son ami l’écrivain Artchag Tchobanian pour des concerts en Suisse, à Berne, Zurich, Lausanne et Genève où Komitas rencontre Ruben Sevag, jeune poète et étudiant en médecine. De retour à Etchmiadzine,  il ne retrouvera pas son père spirituel le Catholicos Khrimian Haïrig. La disparition de son principal soutien aura des conséquences graves.

Les deux années qui suivent, Komitas donne des conférences et concerts dans le Caucase. Il prépare avec Hovaness Toumanian le livret d’un  opéra « Il y a longtemps que j’ai commencé à écrire beaucoup de choses sur ton Anouch mais il reste encore à faire. Cet été, je t’invite chez moi quelque jours, afin de terminer le texte (le livret ?) afin que je puisse continuer » (C’est finalement le compositeur Armen Tigranian qui composera l’opéra Anouch, créé à Alexandropol en 1912.).

En chantier également, un recueil de chants rustiques Hay Kenar qui comporte des titres célèbres : Hov arèk, Aperpan, Yerguink ambel a, Andouni, Im tchinari yar, Karoun a, Koutani yèrke, Antsrèv egav, Sareri verov kenats, Eri eri eri djan.

Le Patriarcat de Constantinople lui demande un exemplaire de sa messe. Dans sa réponse, Komitas annonce qu’il a enfin déchiffré les anciens neumes arméniens « J’ai récolté le fruit de 16 années de recherches et trouvé les clefs des anciens khazes que j’arrive à lire. ». Cette information sera reprise dans la presse arménienne.

Au Djémaran d’Etchmiadzine où il enseigne, les moyens dont il dispose sont insuffisants. Kara-Mourza avant lui s’était heurté aux mêmes difficultés. Déjà à son retour de Berlin en 1899, les conservateurs n’acceptaient pas que Komitas aille de village en village pour collecter des chants et danses. Etudier des chants d’amour ne convenait pas à son statut d’homme d’église…

Un courrier de 1909 au Catholicos Matéos  révèle une situation conflictuelle grave entre Komitas et Etchmiadzine: « Depuis 20 ans, je suis membre de la Congrégation. Je ne l’ai rejointe que pour la servir. Durant ces vingt ans, je n’ai pas pu réaliser ce que j’étais capable de faire parce que j’ai toujours vu une opposition et non un climat serein. Mes nerfs sont fatigués. Je ne sais plus quoi faire et ne trouve pas la paix. J’ai soif d’un travail paisible, je suis perturbé. Je souhaite rester loin, fermer mes yeux pour ne pas voir……mais  je suis un homme, je ne peux pas…Je vous demande de me permettre de me retirer au monastère du lac  Sévan. J’ai perdu vingt ans, au moins que les prochaines années me permettent d’écrire le fruit de mes recherches pour servir ainsi l’église et la science. ».

Cette requête n’aboutira pas mais entre temps, Komitas a reçu de son condisciple et ami G. Bardizbanian une invitation à venir à Constantinople, où il pourrait  trouver, compte-tenu de l’importance de la communauté arménienne, des conditions très favorables pour créer un conservatoire de musique occidentale et orientale.

Komitas travaille sans relâche : Paris, juillet 1910, la grande cantatrice Marguerite Babaïan raconte : « De retour d’Egypte et de Constantinople, très fatigué, Komitas à peine arrivé, se jette sur le piano et commence à chanter pour me présenter ses nouvelles œuvres. Partis quelques jours sur une ile anglaise, il travaillait au piano, du matin au soir, chantant puis écrivant avec une énergie volcanique !

Constantinople…

La perspective de trouver au sein d’une grande communauté les moyens de réaliser un projet musical d’envergure séduit Komitas. Il habite dans le quartier Pangalti avec le peintre Panos Terlemezian (qui fera son portrait en 1913). Il crée un choeur  Goussan, qui comptera en quelques mois 300 membres. Soucieux de préparer des successeurs, il choisit six jeunes gens qui deviendront ses disciples : V.Servantiants, P.Ganatchian, V.Sarxian, A.Abadjian, H.Semerdjian, M.Toumadjian.

Le 20 novembre 1910, peu après son installation, Komitas donne son premier concert, c’est une révélation ! Pour comprendre le succès de ce concert et des suivants il faut rappeler un point d’histoire :

Après l’abolition du corps des Janissaires (1826) qui marqua la fin de l’ancienne musique militaire turque, Giuseppe Donizetti fut chargé par le Sultan Mahmud II d’introduire la musique occidentale à la cour. Dans la capitale de l’Empire Ottoman comme à Smyrne s’est alors développé une musique citadine à la fois européenne et orientale dans laquelle l’influence italienne était prépondérante, comme celle  de Dikran Tchouhadjian.

Succès et dissonances

Comme pour le concert de Kara-Mourza en 1885 à Tiflis, le public qui assiste au premier concert de Komitas en 1910 est enthousiasmé par la musique qu’il entend et découvre un art authentiquement arménien ! « L’âme arménienne vibrait sur scène… en si peu de temps, il a magnifiquement préparé les 300 exécutants… Ses chants nous ont transportés dans un autre monde, notre monde ancestral,…mais aussi dans les plaines et les montagnes ensanglantées… nous sommes heureux que Komitas ait su rester au-dessus des critiques et des oppositions. ».  Les conservateurs de l’ Eglise réagissent à ce renouveau de la musique religieuse et à sa diffusion. Rappelons que la messe pour chœur de Magar Ekmalian, autorisée en 1895 par le Catholicos Khrimian Haïrig, n’a été chantée à Constantinople qu’en 1906…
Komitas, après son premier concert, reçoit un courrier du Patriarcat : « Nous sommes au regret de vous rappeler que l’ Eglise arménienne est opposée à l’interprétation de chants religieux sur la scène d’un théâtre. En conséquence nous vous interdisons de faire chanter la première partie de votre programme (chants religieux)… »
L’Eglise avait-elle conscience du rôle joué par le Vartabed dans le renouveau de la conscience nationale ? Komitas ne tient pas compte de ce courrier et continue son action musicale avec le soutien des intellectuels et libéraux qui condamnent la position rétrograde du Patriarcat : « Depuis des années par mon travail, je me suis tracé une voie que j’ai suivie jusqu’à présent et que je continuerai à suivre aussi longtemps que j’en aurai la force. » Il donnera de très nombreux concerts aidé dans sa mission par un comité qui organise et gère les concerts dont les bénéfices alimentent un fonds destiné à la création d’un conservatoire de musique. Malgré ses succès, Komitas n’est pas dupe : la liberté dont semblent jouir les Arméniens depuis la révolution de 1908 ne peut faire oublier les massacres d’Adana de 1909. Dans une longue correspondance à Archag Tchobanian sur l’avenir des Arméniens il écrit : « Nous n’avons rien à espérer des Turcs… » Il avait hélas raison !

Querelles Byzantines

En 1911, Komitas part en Egypte pour une longue série de conférences et concerts. Il obtient partout un immense succès. Avec son art et sa voix, le génial Vartabed entraine les auditeurs vers une Arménie authentique, presque idéale. Par le miracle de quelques mélodies, il les transporte dans les villages de la plaine de l’Ararat ou de l’Arakadz. Le concert devient pèlerinage…

Komitas, programmait parfois avec son chœur des chants classiques ou turcs, qu’il harmonisait. Il était également apprécié par les milieux culturels turcs et européens.

En janvier 1912, le Vartabed réalise à Paris un enregistrement phonographique de chants populaires et religieux : Mokats Mirza, Hov arek, Koutani yèrk, Kali yerk. En dépit des imperfections techniques, nous pouvons encore écouter cette voix qui a émerveillé et bouleversé les auditeurs. L’année suivante, il retourne longuement à Berlin, travaille à son grand projet de  fonder un Conservatoire et voyage à travers l’Empire Ottoman pour y recueillir des chants traditionnels.

Ses travaux sur la musique arménienne en harmonie avec la recherche de l’identité de son peuple provoquent un conflit avec les gardiens de la tradition ancestrale des diacres formés à une musique pluriculturelle issue de la cohabitation avec les Assyriens, Byzantins, Turcs et Arabes. Evidemment,  ils n’étaient pas d’accord avec Komitas.

Un long article signé S. K. Bourmayan paru en 1913 dans le journal Dadjar sous le titre : La musique des arméniens n’est pas pure, elle est mélangée, réfute longuement les thèses de Komitas, en tout cas pour la musique religieuse.

En 1914, ces positions opposées vont éclater au grand jour à l’occasion d’une initiative novatrice de Komitas : une maison anglaise de disque Orphéon-record de passage dans la ville, consciente du succès des concerts et de leur qualité propose de réaliser un enregistrement de chants religieux et populaires arméniens. Le chanteur Chah-Mouradian venu en 1914 à Constantinople participe à ces enregistrements accompagné par Komitas au piano ou à l’harmonium. On y trouve des titres populaires : Krounk, Anduni, Alakiaz, Hayasdan mais aussi religieux : Kristos Badarakial, Der Guétso, Ourakh lèr… Dès leur parution les disques obtiennent partout un grand succès, mais….

«  Constatant que le Vartabed Komitas… a mis en vente les chants de l’ Eglise Arménienne, que par l’intermédiaire des disques, ils sont diffusés et écoutés n’importe où et sans respect pour leur caractère sacré, ces faits ont décidé le Patriarche à demander au Catholicos de faire remarquer au Vartabèd  Komitas cette situation anormale. Il est décidé que le Patriarche s’adresse à la police pour interdire la diffusion de ces enregistrements de musique religieuse arménienne » 

Cette décision du comité (18 juin 1914) fera l’objet de grands débats dans la presse. Les intellectuels, des spécialistes étrangers, le peuple et la presse prennent la défense du Vartabed et obtiennent l’annulation de cette décision !

Komitas n’est pas indifférent à ces attaques. Il en souffre, mais reste en dehors de ces querelles, considérant que le Catholicos Khrimian Haïrig, en son temps, lui a donné les autorisations que lui refuse à présent l’ Eglise « Depuis des années, par mon travail, je me suis tracé une voie que j’ai suivie jusqu’à présent et que je continuerai à suivre aussi longtemps que j’en aurai la force. ».

La même année, au sommet de son art, il participe en juin au congrès de l’Association Internationale de Musique à Paris. Sur les 400 spécialistes, Komitas est le seul représentant de l’Orient. Après ses deux interventions, les congressistes lui demandent une troisième conférence et une réunion musicale qui se déroule à l’ Eglise Arménienne de Paris.

Tragédie et silence

Komitas, de retour à Constantinople donne un concert le 3 avril 1915, le dernier… Quelques jours plus tard, comme de nombreux compatriotes, il est arrêté et déporté. Surprise ! Deux semaines plus tard, le Vartabed est libéré. A son retour de déportation, Komitas n’est plus le même. Seul, privé de revenu, prostré, il ne reçoit personne et son propriétaire veut récupérer sa maison. L’un de ses compagnons racontera dans ses mémoires : « J’étais en admiration devant sa santé physique et psychique….Il parlait calmement, encourageant les autres, mais plus jamais je ne l’ai vu gai ». Lorsque l’état de Komitas s’améliore un peu au printemps 1916, on le croit rétabli. Reçu chez des amis, à la campagne, il termine les Danses arméniennes et les Danses de Mouch, ses chefs d’œuvres pour piano !

A l’automne, Komitas, qui se culpabilise de ne pas partager le martyr de son peuple, rechute. Il est interné contre son gré, à l’hôpital turc de Chichli, (décision difficile à comprendre encore aujourd’hui). Durant cette période dramatique, ses amis comme Daniel Varoujan, Ruben Sévag et Siamanto étant morts, Komitas est d’une certaine façon abandonné. Il perd sa maison. Ses affaires, parmi lesquelles ses manuscrits, sont transportés au Patriarcat d’où une grande partie disparaitra…. Finalement, à la fin de la guerre, en 1919, le grand Vartabed est transféré en France à Ville Evrard,  puis à l’hôpital psychiatrique de Villejuif. Ses amis venaient souvent lui rendre visite et leurs témoignages confirment la lucidité du Vartabed à certains moments. A cause de cela, tout le monde espérait sa guérison…..

Nous avons relevé une remarque de Nichan Serkoian qui lui rend visite en 1923 : Komitas est cohérent mais désespéré et en colère.  En 1931, Komitas, interrogé par Vartan Mérdjanian sur l’avenir de la musique arménienne, répond : Le paysan ne sait pas lire mais il sait chanter. Il chante dans son village, dans ses chants, chez lui et dans son pays. Tout cela reviendra. Même s’il est maintenant petit, demain il grandira. Comme un enfant il construira sa maison…

Une année après cet entretien, comme l’avait pressenti Komitas, un enfant du peuple, Aram Khatchatourian, musicien autodidacte, admis tardivement au Conservatoire de Moscou, va ramener la musique arménienne sur la scène internationale. Le compositeur Serge Prokofiev ayant remarqué son Trio pour violon, clarinette et piano le fait jouer à Paris en 1932. Trente sept ans plus tard, devenu mondialement célèbre, Aram Khatchatourian écrira pour le centenaire de la naissance de Komitas : Aujourd’hui encore, je m’émerveille devant ses chants, ses chœurs, ses danses pour piano… chaque fois que j’entends sa musique, je vois l’Arménie… Je pense que tous les musiciens arméniens doivent se sentir redevables à Komitas de l’héritage qu’il nous a laissé. Komitas a été, est et restera mon plus grand professeur…   

Après sa mort en 1935, Komitas reçoit des obsèques grandioses à l’ Eglise de la rue Jean Goujon à Paris. En 1936, son corps est transféré en Arménie soviétique où il repose au Panthéon National.

La légende de Komitas ne cesse de grandir et une abondante littérature lui est consacrée. Depuis peu, de nombreuses statues symbolisent son martyre et celui du peuple arménien. Sa musique, toujours présente, souvent dans des transcriptions instrumentales rappelle au monde le génie d’un petit orphelin de Kutahya qui ne parlait que turc mais chantait merveilleusement les Charagans arméniens…

                                                         Alexandre Siranossian 

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